Esthétique du contretemps

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Fred Csupor est un contributeur régulier de Roaditude. Il publie La Logique de l’Absurde, un livre rare qui rassemble les images d’un voyage dans l’Ouest américain réalisé en 2012. Singulièrement, ce voyage avait débuté par un contretemps particulièrement contrariant pour un photographe : le vol de tout son matériel, à l’exception d’un petit compact argentique. Avait débuté alors une sorte d’errance esthétique, qui s’est transformée en une belle poésie visuelle, douce par sa colorimétrie, tendue par les contrastes qu’elle met en évidence. Nous avons posé quelques questions à Fred, qui vernira son livre ce vendredi 2 juin à la galerie The Square, à Genève.

Roaditude – Fred Csupor, quel photographe es-tu, et quelles sont tes influences ?
Fred Csupor – J’ai du mal à me définir comme photographe. Les images, fixes ou animées m’ont toujours fasciné. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu des images qui me viennent à l’esprit et j’ai besoin de les reproduire ou de les retrouver dans la réalité qui m’entoure. La photographie est un medium, j’en utilise d’autres, comme la vidéo ou le collage. Au final, ce qui m’intéresse, c’est de raconter des histoires, avec des images et aussi parfois du texte. Je ne sais pas si tout ça rentre dans « la case photographe ». Je ne suis pas sûr d’aimer les cases en réalité. Elles dépendent des représentations de chacun… Et ça peut varier, beaucoup…

Peux-tu nous présenter ton projet La Logique de l’Absurde ?
La Logique de l’Absurde est un projet qui est né d’une situation non-souhaitée, d’une non-démarche photographique. En octobre 2012, je suis parti au Etats-Unis, côte ouest, pour réaliser des photos un peu particulières. Accompagné de deux amis proches et très bons connaisseurs de la région, je projetais de réaliser des photographies avec un appareil technique, une chambre 4×5. Le but était de revenir avec un sujet d’exposition, et des tirages géants, ce que permettait l’appareil utilisé. Le 3ème jour, on s’est fait voler la quasi totalité du matériel dans notre véhicule. D’un point de vue photographique, il ne me restait qu’un petit appareil argentique, resté dans ma chambre. Du point de vue du reste, il ne nous restait plus grand chose. On a hésité à repartir, à abandonner. Les compagnies d’assurance ne prenaient rien en charge, le matériel, rare et très spécifique, n’était pas trouvable sur place rapidement. Au final, on a quand même pris la route, avec un parcours un peu chamboulé et chaotique. Le petit appareil a servi à tenir un « journal photographique » à la fois cynique, rythmé et urgent. L’urgence est un terme qui convient bien, avec un peu d’adrénaline.

Au retour, je me suis dis que j’allais raconter cette histoire (tiens, une histoire…). J’ai présenté la série à des galeristes, des acteurs du monde de l’art, des experts… Les réactions étaient variées et assez souvent surprenantes.  Le plus drôle c’est qu’on m’a grondé pour avoir laissé quelques instants du matériel photo dans une voiture. Les vitres étaient teintées et c’était dans un quartier tranquille, mais bon…

Au final, le travail a été exposé à Lyon, Paris et Berlin. Il a fait l’objet d’une sélection au Festival des Nuits photographiques de Paris en 2013 et au Cinéma des Photographes en 2014. Les images réapparaissent régulièrement dans des événements. Prochainement, dans le cadre d’une projection à l’Institut Français de Madrid.

Fin 2016, j’ai eu l’envie d’en faire un petit livre, comme un carnet de route. Ce livre de 44 pages se nomme donc La Logique d l’Absurde et sort le vendredi 2 juin en édition très limitée, numérotée et signée.

Finalement, tu as eu de la chance… Est-il possible, aujourd’hui, d’aborder le sujet américain, tant visité, autrement que par accident, que par incident ?
Les plus optimistes qui ont découvert le projet m’ont beaucoup dit “c’est un mal pour un bien”. Disons que j’ai raconté cette expérience, peut-être banale, et que l’absurde de la situation, j’ai essayé de lui trouver une logique. L’Amérique, c’est une culture très large, à la fois familière et étrangère. Familière car on grandit avec (télévision, musique, mode, sport…). Elle est présente à travers le monde entier. Ca fait un grand terrain de jeu. Il est bien évidemment possible d’aborder le sujet sous des angles très différents, avec des traitements ou des mediums variés. Mais l’incident, on ne peut pas le prévoir, et c’est plutôt intéressant. La sérendipité, c’est un mode de création qui peut s’avérer très puissant.

Tu publies « un livre rare, produit à seulement 100 exemplaires »… Peux-tu nous expliquer cette logique éditoriale ?
Les expositions, c’est passionnant mais cela demande beaucoup d’énergie, de temps et ça reste éphémère. Un livre, quel qu’il soit, est un objet qui reste, que l’on peut toucher, feuilleter, conserver. J’ai une grande passion pour les livres, mes parents en lisaient beaucoup, j’ai grandi au milieu des bouquins. J’ai voulu laisser quelque chose de tangible de La Logique de l’Absurde. Le livre a été produit par des artisans du papier, Claire et Marc de chez Ooblik. Je n’en voulais pas plus de 100, car il doit rester rare, tout comme le matériel volé. Et quand il n’y en a plus, l’absence prend tout son sens… Un peu comme dans mon aventure.

Tu nous livres une vraie photo de route en page 12… Durant ton voyage, as-tu eu des coups de cœur de routard ?
La route est un univers que j’aime, mais pas une fin en soi. J’aime les bords de route ou les carrefours. Ce que j’aime par dessus tout, ce sont les diners (restaurants typiques américains). Ce sont des machines à remonter le temps. On y partage des plats, du repos, on y rencontre des gens. Le skaï ou le velours, les couleurs criardes et pastels… Visuellement, c’est beau et complexe à la fois. Bref, un morceau d’Amérique.

Durant ce voyage de 2012, j’ai fais l’expérience de la vallée de la mort. On l’a traversée avec peu d’essence et pas d’eau. Tout ce qu’il ne faut pas faire. ça allait bien avec le contexte et l’état d’esprit du moment…

L’Amérique, c’est donc fait… Qu’est-ce qu’il y a après cela ? Quels sont tes prochaines projets photographiques ?
Les projets en cours, sont des projets d’édition. Je souhaite me concentrer sur des livres, les expositions viendront s’il y a lieu. Pour être franc, je n’aime pas parler beaucoup de mes projets avant qu’ils ne soient terminés. Je peux simplement dire que je travaille sur de la photographie, du collage, de la typographie, de la vidéo. Au fond, c’est l’acte créatif qui est passionnant.

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Le livre est disponible en ligne à l’adresse : www.beckbooks.ch. Vernissage : Galerie The Square, 2-4 rue du Diorama, Genève, à 18h. Entrée libre et ouverte au public.

(Interview : Laurent Pittet, Nyon, Suisse / Crédits photo : Fred Csupor)