Pas de route plus belle qu’une autre

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Gregory Favre est un photographe qui s’est illustré dans différents domaines – portrait, mode, beauté, institutionnel. Fasciné par l’urbain, amateur d’une imagerie néo-rock élégante, il s’attache à inventer des clichés rigoureux et esthétiques. Ses inspirations sont internationales, mais sa route est bien française : la Nationale 7, au bord de laquelle il a grandi. C’est lui qui aura les honneurs du « trajet photographique » du premier numéro de Roaditude, attendu pour la mi-avril. Rencontre.

Roaditude – Grégory Favre : mode, publicité, portrait, reportage… Quel a été votre parcours, et quel photographe êtes-vous ?
Gregory Favre – Je me définirais comme un touche-à-tout. J’ai d’abord commencé par une formation dans un studio publicitaire à Lyon, où l’on faisait beaucoup de catalogues, de culinaire, de la joaillerie… C’était très exigeant, technique et franchement pas toujours rock’n’roll ! Mais cela a été très formateur. En sortant de là, j’avais appris la polyvalence, la patience ainsi que la dure réalité du métier de photographe… J’ai donc provisoirement laissé mes ambitions artistiques de côté lorsque je suis arrivé à Paris il y a maintenant 8 ans, il fallait déjà payer le loyer. Mais le confinement d’un studio et le manque de conversation incroyable d’une nature morte m’ont très vite poussé à aller voir dehors, rencontrer le monde, puis reprendre la route. J’ai donc recommencé à photographier ce qui me fascinait le plus, la ville et ceux qui la font. C’est vraiment mon terrain de jeu. Le jour, la nuit, dans le froid souvent. Et comme une évidence, 8 ans plus tard et quelques nuits passées dehors, la photo urbaine et le portrait sont définitivement devenus mes axes de prédilection. J’aimerais désormais y consacrer plus de temps.

En matière de photographie, quelles sont vos influences, quels sont vos coups de cœur ?
Mon inspiration vient principalement de la photographie américaine contemporaine, plus particulièrement des coloristes comme Stephen Shore, Saul Leiter, Joel Meyerowitz, William Eggleston. Une vraie révolution dans les années 70 où le noir et blanc prédominait encore largement. Il y a aussi la photographie japonaise. Kitajima, Moriyama, Homma, Araki bien sûr. Les pionniers de la street photography. J’aime cette photo très contrastée, décadrée, à la limite du « techniquement incorrect ». Il y a un équilibre entre violence et sens de l’humour toujours très subtil. Sinon, j’ai récemment découvert le travail de Fernell Franco, photographe latino-américain en ce moment exposé à la Fondation Cartier à Paris. Il traite de l’évolution de la ville de Cali en Colombie, de l’explosion spectaculaire de la violence urbaine, et de la dégradation architecturale de la ville. Mon coup de cœur de l’année.

Quel est votre rapport à la route, et en quoi est-elle un thème photographique à vos yeux ?
La route est depuis longtemps très présente dans mon travail personnel. Elle n’est pas toujours le sujet central, mais je l’intègre souvent, car je trouve qu’elle apporte une perspective, une ouverture, une issue en quelque sorte – après, libre à chacun d’imaginer la suite. C’est ce qui en fait, selon moi, un vrai thème photographique. J’ai la chance, depuis quelques temps, de pouvoir voyager plus, et la sensation de liberté, quand je suis au volant, est toujours la même, que je sois sur une départementale en France ou sur une freeway nord-américaine, pour moi il n’y a pas de route plus belle qu’une autre, tout est question de lumière, d’humeur. Je souhaiterais maintenant m’intéresser de plus près aux nouveaux grands axes routiers, ces déviations et leurs ponts « superstructures » tant fustigés par mes amis de la Nationale 7… Je dois comprendre.

« Mon inspitaration vient principalement de la photographie américaine contemporaine, plus particulièrement des coloristes comme Stephen Shore, Saul Leiter, Joel Meyerowitz, William Eggleston. »

« Mon inspitaration vient principalement de la photographie américaine contemporaine, plus particulièrement des coloristes comme Stephen Shore, Saul Leiter, Joel Meyerowitz, William Eggleston. »

Dans le numéro de Roaditude qui sortira en avril, vous présentez un essai inédit sur la Nationale 7. En quoi cette route vous intéresse-t-elle, et quelle a été votre démarche esthétique ?
C’est d’abord une route que je connais bien. Enfant, je l’empruntais très souvent avec mes parents lorsque nous étions en vacances dans le sud de la France. J’étais un gamin de la ville, et j’aimais imaginer ce que pouvait être la vie des gens au bord de ce lieu que je ne croyais être, au départ, qu’un lieu « de passage ». C’était sans jugement, au contraire, j’aimais me raconter des histoires car je trouvais à ces bords de route quelque chose de particulier. Puis, nous avons quitté Lyon à mes 15 ans pour nous installer dans une petite ville de la Drôme traversée par la Nationale 7. Et là, ma vision a complètement changé. Cette route est devenue partie intégrante de mon quotidien, j’y ai même passé mon permis de conduire, avec succès. Je la connais donc par tous les temps, toutes les saisons, et c’est la nuit que j’ai décidé de la photographier pour votre sujet. Il y a la magie de ces établissements, hôtels, restaurants routiers, stations-service qui ressortent comme des refuges dans le noir, les lumières. Les néons colorés, les parkings presque déserts, les silhouettes dans l’encadrement des fenêtres, c’est à ce moment que je la trouve la plus belle, et que je souhaitais la montrer.

Quelle musique avez-vous écouté d’une étape à l’autre ?
Quand je roulais de nuit, ce qui était souvent le cas, c’était clairement Marylin Manson. Je suis assez fan, et c’est excellent pour éviter de s’assoupir. Sinon, lorsqu’il s’agissait de lever un peu le pied, rien de tel qu’un bon David Bowie.

Quels conseils donneriez-vous à un voyageur qui voudrait suivre vos pas, et relier Paris à Menton ? Quels sont les endroits à ne pas manquer ?
Les endroits sont nombreux, mais si vous voulez un lieu authentique, je recommande en particulier le Relais Routiers Eurogrill, au bord de la Nationale 7, à Orgon (13660). Je l’ai trouvé alors que je cherchais un endroit pour dîner un soir, et je n’ai pas été déçu ! Il y avait un tournoi de billard, l’ambiance était dingue, les propriétaires sont les mêmes depuis les années 70 et les pizzas sont excellentes ! Le vrai relais comme on les aime.


La photo de tête de cette publication est extraite du travail de Grégory Favre qui sera publié dans le premier numéro de Roaditude. Pour en savoir plus sur Grégory Favre et son travail, vous avez la possibilité de visiter son site Internet www.gregoryfavre.com.

(Texte : Laurent Pittet / Crédits photo : Grégory Favre)