Routes africaines - Chapman's Peak Drive, paradis sur terre

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Les routes goudronnées ne courent pas les rues sur le continent africain. En 2013, à peine 30% du réseau routier était bitumé. En Afrique du sud, il y a une route bitumée parmi d’autres qui longe la côte Ouest en corniche, à une cinquantaine de kilomètres au nord du cap de Bonne-Espérance. Sur neuf kilomètres de long, son nom abrite une histoire vieille de quatre siècles, et des key spots qui auraient mis plus de temps à être remarqués si la route n’avait pas été construite par les colons. Au risque de paraître cliché, on peut s’y aventurer pour comprendre son utilité, et le passé qui l’a forgée à devenir l’une des routes les plus fréquentables du monde. 

Une route qui tombe “à pic”
“Chapman’s Peak”, c’est le nom donné à la cîme que le commandant en second britannique John Chapman découvrit en 1607, quelques années avant l’arrivée des premiers pionniers néerlandais, lorsque son bateau, le Consent, fit escale à Hout Bay au sud de Cape Town dans l’espoir de trouver des provisions pour son équipage alors à bout de ravitaillements. Le skipper du bateau décida d’appeler par son nom la montagne aux abords de laquelle Chapman avait trouvé des vivres, en référence à la chance qu’ils avaient eue grâce à lui. Comme le nom collait plutôt bien, l’appellation “Chapman” resta pour désigner le sommet de cette montagne de 592 mètres d’altitude.

Début du vingtième siècle, le boer Nicolaas Frederic de Waal, désireux de développer le tourisme en Afrique du sud et premier administrateur de la ville de Cape Town, ordonna la construction d’une artère joignant Cape Town aux faubourgs du sud de la ville. Au vu du très bon accueil de la route par les habitants, il fit entreprendre un second axe plus au sud reliant Hout Bay (“Hout Baai”, “baie du bois” en afrikaans) à Noordhoek (signifie “coin nord” en néerlandais). Puisqu’il s’agit d’une terre de granite de plusieurs millénaires, la construction de la route fut houleuse et l’arpenter était un business dangereux. Les falaises et les ravins étant abrupts et le terrain instable, les travaux à l’époque s’avéraient périlleux. Si la corniche de Chapman’s Peak Drive a pu être construite, c’est grâce à l’apport du travail forcé des bagnards pour contrer les tourments rocheux et les ravins vertigineux qui la bordent aujourd’hui encore. Les travaux s’échelonnèrent sur sept ans, entre 1915 et 1922. Dans les années nonante, des glissements de terrain et des éboulements de roche provoquèrent des fermetures successives de la route pour son réaménagement progressif. La voie était barrée en cas de pluie (bruine exclue) et réouvrait lorsque les conditions le permettaient. En janvier 2000, un feu de forêt fit rage dans la péninsule du Cap, frappant les hauteurs de la corniche. Au vu du danger imminent, des travaux de grande envergure de réaménagement de la route ont été dessinés.

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Ingénierie sud-africaine au sommet
Fini le travail de bagnards de l’entre-deux-guerres! Cette fois-ci, la municipalité de la ville de Cape Town fit appel à des professionnels et rameuta toute une clique d’ingénieurs et d’experts en environnement qui travaillèrent jours et nuits selon les cahiers de charges du Processus d’Intégration de l’Environnement (PIE). Le réaménagement intelligent de la route s’étala sur trois ans, comprenant notamment des barrages et des galeries de protection pour empêcher la roche de s’éffondrer, des clôtures pour endiguer les chutes de pierres, la stabilisation des pentes à forte inclinaison et la réparation des tronçons altérés. Les travaux inclurent des équipes provenant de l’administration provinciale de Cape Town, des travailleurs de la partie occidentale de la province et des membres du Cape Metropolitan Council.

Pour permettre à l’administration de rembourser les dépenses liées aux réparations, Chapman’s Peak Drive est devenue une route à péage depuis sa réouverture en 2003. Des tests de sécurité furent effectués jusqu’en 2009 et aujourd’hui la corniche ferme occasionnellement pour des vérifications de routine, des opérations de maintenance et lorsque sa traversée ne permet pas un trafic fluide. Le succès des travaux effectués durant ces quelques années ont attribué une renommée internationale à la province du Cap occidental et ont redoré la réputation du génie civil sud-africain. D’ailleurs au pays de Mandela, avoir un diplôme d’ingénieur en poche est perçu comme étant un “passeport pour une vie prestigieuse”.

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Paysage routier “so cliché”
Peu importe la marque de votre appareil photo, même un smartphone fera l’affaire pour immortaliser l’atmosphère spectaculaire de la province balnéaire. Tellement cliché que depuis des années, le paysage de la péninsule est profondément ancré dans la littérature sud-africaine.

Direction la plage et les vagues extra larges
Chaque écrivain sud-africain a sa plage mythique. Pour Michéle Row, c’est la plage de Long Beach (sept kilomètres de sable fin) à Noordhoek qui a donné vie à l’intrigue de son premier roman à succès. La corniche de Chapman’s Peak n’est pas seulement inspirante, la nature qui l’entoure y est vertigineuse et déroutante, elle peut sembler irréelle. Un paradis pittoresque qui peut à tout moment tourner à un enfer danteste…

Explication : l’un des spots les plus exploité par les surfeurs professionnels aujourd’hui se situe sur les récifs de Hout Bay, épicentre des rouleaux XXL dans lesquels les sportifs s’engouffrent notamment lors de la Red Bull Big Wave Africa qui a lieu chaque année de fin juillet à fin août. Depuis peu, des drônes sont télécommandés par les sharkspotters (guetteurs de squales) pour surveiller la plage afin de prévenir les attaques des visiteurs marins jaillissant des grandes profondeurs. Il est cependant très rare que les requins débarquent à cette période de l’année. Leur plus grande affluence est enregistrée entre octobre et février, période de l’été sud-africain. Précautions prises, les surfeurs peuvent parquer leurs vans le long de la corniche et remonter tranquillement sur leurs planches en fibre polyester.

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Points de chutes et belles escapades
Pour ceux qui veulent profiter du calme de la péninsule, il suffit de quitter la route un moment et de faire escale dans un lodge au choix le long de l’océan (opter pour le Twintswalo Atlantic Lodge) et profiter de la tranquillité d’une plage privatisée avec panorama de rêve assuré.

Point de vue pêche, plongée, observation de baleines à bosse (de mi-août à mi-novembre) et autres distractions, Chapman’s Peak Drive offre tous les passe-temps en vogue sur la côte. Les amateurs de course à pied peuvent assister ou participer au Marathon des Deux Océans qui s’étend sur une distance de cinquante-six kilomètres allant de Cape Town jusqu’à l’océan Indien en remontant l’Atlantique par Chapman’s Peak Drive. L’événement a lieu chaque année durant le week-end de Pâques.

Et enfin, il suffit de traverser toute la corniche puis de dépasser la route sur une vingtaine de kilomètres pour aller jusqu’à la montagne de la Table qui culmine à 1086 mètres au-dessus de son parc national éponyme. Il abrite encore des caracals, des babouins et des damans.

Il est dès lors tout à fait envisageable de conclure l’aventure sur un revirement de situation pour changer de cap en empruntant d’autres itinéraires et d’autres niveaux de températures. Se diriger à présent vers l’est de l’Afrique australe pour cette fois découvrir le bush, le vrai!

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Infos pratiques pour route praticable
Route de Chapman’s Peak Drive
À 27 km de Cape Town, via Victoria Road et la route M6
Entre Hout Bay et Noordhoek
Afrique du sud
www.chapmanspeakdrive.co.za

 

(Texte : Valentine Jansen, Dakar, Sénégal / Crédits photo : Mathieu Lambin)