La Mad Jacques 2017, un sacré coup de pouces

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L’euphorie est palpable dans l’air étouffant de ce samedi 11 juin au matin. Sur les quais du Rhône, à Lyon, plus de 90 participants sont dans les starting-blocks de la plus grande course en stop d’Europe : la Mad Jacques, organisée par une association éponyme.

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Répartis en binômes, les participants échauffent leurs pouces, griffonnent leurs pancartes et enfilent leurs déguisements pour se lancer à la conquête des routes. Dans les deux autres villes de départ : Nantes et Paris, l’effervescence est la même pour les 800 participants. Trépignant, ils attendent que leur soit enfin révélé le nom du village mystère, où l’accueil rimera avec musique, bières locales et anecdotes à foison. Plus que l’envie de gagner, tous sont habités par une inextinguible soif d’aventures. « On voulait faire découvrir le stop tout en assurant la sécurité des participants pour que les plus réticents se jettent à l’eau », expose Louis-Marie surnommé Louma, médecin et co-organisateur de la course.

Le nom tombe : Chéniers. Éclosion de smartphone, direction Google Map. Chéniers est un petit village dans la Creuse, le Coeur de la France, à 350 km d’ici. Les participants optimistes, tout à leur aventure, se confrontent aux premiers conducteurs quelque peu ahuris : « Vous voulez aller dans la Creuse ? Aujourd’hui ? », sourient-ils devant cette idée farfelue. Les cartes de France sont dégainées et les binômes évoquent leur stratégie : départementales ou autoroutes ? Ces aventuriers novices s’éloignent dans la buée matinale tel un car de touriste version backpackers, déversé sur les rives du Rhône.

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« Plus que le voyage, c’est le fait de prendre le temps qui me plaît ».
En lisière de la ville, l’espoir se meut rapidement en impatience. Le soleil est déjà haut, les visages éblouis grimacent des sourires et l’odeur d’asphalte brûlant dans les narines, accompagnent les auto-stoppeurs. « Ça fait plus d’une heure que l’on est sur ce rond-point » piaffe une participante, chapeau de paille vissée sur la tête. Elle et sa comparse, adossées à la rambarde de sécurité, brandissent leurs pouces et scrutent chaque voiture potentielle. À l’image de ce binôme, la plupart des participants garderont en tête, ces longues heures d’attente, d’une route où s’entremêle joies et déceptions.

Dans un monde où tout va de plus en plus vite, le stop peut être un défi pour les participants. Mais, « modifier son rapport au temps » est un des enjeux forts, initié par les organisateurs, explique Louma. « Plus que le voyage, c’est le luxe de prendre le temps qui me plaît ». La grande majorité du public concernée par la course est jeune, citadine, et peu habituée à traîner ses baskets sur les chaussées embaumées de la campagne française. Les participants qu’on imagine dans un balai de claquement de portières, grimpent dans leurs véhicules de fortune et traversent les départements. Bientôt, Lyon n’est qu’un lointain souvenir.

La verdure de l’Auvergne et ses volcans se dessinent autour de la Nationale 7. « Vous êtes sur une route mythique, vous ne connaissez pas la chanson de Charles Trenet ? », lance fièrement René, 56 ans. Ancien cadre chez Vinci, il est improvisé chauffeur pour l’occasion. Par principe et par amour des routes, il ne prend pas l’autoroute. Celle que René surnomme la « route bleue », est en effet une route chargée d’histoire. Réservée aux voyageurs peu pressés, traversant des paysages changeants, la N7 longue de 996 km, reliant Paris à Menton, était synonyme de grandes vacances, pour une partie de la population entassée dans des R5, avant que les déviations et autres routes plus rapides ne lui volent la vedette.

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« Rencontrer le monde dans l’habitacle d’une voiture »
Mélodie, une jeune étudiante chaussée de lunettes rondes et d’un casque de cosmonaute, voyage souvent seule : « Pour moi, le stop est une manière de découvrir une région de l’intérieur. Les chauffeurs se transforment en guides touristiques. » Les yeux se croisent dans les rétroviseurs, entre les participants de la course et les conducteurs. Un moment d’intimité incongrue s’installe dans le confinement d’une voiture. Un temps suspendu où l’intimidant se transforme en vulnérabilité.

Mains négligemment posées sur le volant, éclairées par le voile du soleil couchant, Floriane, zigzague habilement sur les routes cerclées de forêt, en direction de Chéniers. Elle se fait conteuse : « Ici, c’est le pont du diable, vous voulez connaître son histoire ? » , s’enthousiasme-t-elle, après avoir appelé sa petite soeur en haut-parleur. Une scène touchante du quotidien qui se terminera par un « je t’aime » assumé et révèlera le conflit présent avec leur père « ça fait deux ans qu’on ne s’est pas parlé » confie-t-elle. À mesure que les paysages défilent, les langues se délient, et c’est là toute l’alchimie de l’aventure en bas de chez soi qui se dévoile. « On peut rencontrer le monde dans l’habitacle d’une voiture » philosophe Nans, réalisateur de l’émission « Nus et culottés ». Avec son comparse, Mouts, il sillonne, l’Europe nus et sans argent, comptant sur la générosité des acteurs du quotidien.

Le paisible village de Chéniers est peu à peu envahi par un défilé d’auto-stoppeurs. C’est une libération. Mais si les dos sont rompus d’avoir était la mule de sacs trop lourds et les visages rougis par le soleil, la fierté d’être enfin arrivé se lit sur les visages. Les enfants, curieux, proposent aux backpackers un raccourci à travers champs pour atteindre le camping. À l’entrée, les participants attendent les uns derrière les autres pour s’enregistrer dans une myriade de catégories auprès des bénévoles.

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« Le stop est une école de l’aventure »
Si l’organisation peut paraître étouffante pour certains aventuriers, l’objectif était de mettre l’accent sur un mode de voyage alternatif. Avec l’expansion du tourisme de masse, et ses impacts, le stop permet de redécouvrir son pays : « On peut vivre l’aventure en allant se paumer dans la creuse, comme lors d’un trip au Sri Lanka », affirme Vincent, occupé à gérer la suite des évènements de la Mad Jacques, dont il est le Président.

Annick-Marie, toute de bleue vêtue, auteure du blog La Globestoppeuse, précise : « Le stop est une école de l’aventure ». C’est en le pratiquant qu’elle quitte peu à peu sa zone de confort. Le contrôle est devenu une obsession dans notre société. « Il est parfois dur de se lancer, car on ne peut rien prévoir » assure-t-elle avec emphase.

« On a le pouvoir de changer le monde avec notre pouce. »
Entouré d’une centaine d’aventuriers novices, en quête d’inspiration, Nans exalte : « On a le pouvoir de changer le monde avec notre pouce. En osant, créer du lien ! » L’expert continue l’exposé : « Dans une culture du danger omniprésente, les personnes ont besoin d’être entendues dans leur peur et non jugées”.

« Quand j’étais jeune, on montait dans les bagnoles directement aux feux, mais maintenant, on ne peut plus faire confiance, avec tout ce qu’il se passe… » S’inquiète Cécile, 50 ans. Elle n’est pas la seule à témoigner de l’évolution des mentalités. Pour endiguer ce phénomène, Annick-marie prends son rôle à Coeur. Elle se considère comme une « professionnelle de la route. Je donne de moi-même pour offrir une vraie écoute ».

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« On est monté dans 18 voitures »
Le soleil se couche sur les collines verdoyantes entourant Chéniers, et alors que les derniers participants passent la ligne d’arrivée, les aventuriers novices racontent leurs péripéties. « Nous, on est monté dans 18 voitures », rigole le binôme ayant multiplié le plus de trajets. D’autres narrent comment, des policiers ont arrêté des automobilistes pour les aider dans leur course.

Après une soirée arrosée de bière et de musique, des visages endormis percent la lumière matinale pour profiter d’une journée entre activités et farniente. Sous les encouragements de la foule, Nans et Anick-Marie, énoncent les résultats des divers concours. Celui du véhicule le plus insolite est remporté par une bétaillère à cochons tandis que deux cosmonautes, armés de leur drapeau de la Nasa, ont pris la route pour la lune, remportant le prix du meilleur déguisement.

Les participants ont pu goûter au voyage le temps d’un week-end. S’il n’a été qu’une parenthèse originale et bucolique pour certains, pour d’autres, il a été source d’inspiration pour continuer à voyager au quotidien. « Je ne suis pas prête d’oublier toutes ces émotions, ces discours passionnés » témoigne Magalie, dans le bus du retour. Déjà, l’appel de la route plane au-dessus des têtes fatiguées. Imaginant, leur prochaine aventure, la vraie cette fois, sans cadre ni temps.


(Texte et crédits photo : Romane Jolivet et Marine Martin, Marseille, France)