La route de la discorde

Ce sera la route la plus chère du monde: la Nouvelle Route du Littoral (NRL), longue de 12,5 kilomètres, est en construction depuis 2013 sur l’île de la Réunion. Sur Facebook, ils sont plus de 3000 à s’y opposer – autant que le nombre de salariés occupés par le chantier. Élaborée pour résister aux marées, aux contraintes sismiques et cycloniques, cette véritable route sur l’eau divise.

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Une route onéreuse mais nécessaire
Le but du chantier titanesque: relier le chef-lieu de l’île, Saint-Denis, au Port – une liaison déjà assurée par la Route du Littoral, devenue obsolète. Âgée de plus 40 ans, cette route, empruntée chaque jour par 60.000 automobilistes, est en effet engorgée et dangereuse de par sa proximité avec une falaise sujette à éboulements et avec le niveau de l’Océan Indien, souvent secoué par de fortes houles. Fermeture de voies, embouteillages et accidents constituent donc le quotidien des navetteurs. C’est pour mettre fin à cette situation que la construction des 2×3 voies (contre 2×2 actuellement) au-dessus de la mer a démarré en décembre 2013. D’ici 2020, 6,7 km de digues, un viaduc de 5,4 km à plus de 20 mètres au-dessus de la mer et reposant sur 48 piliers, un second viaduc de 240 mètres et un échangeur seront construits. Coût total de l’opération: 1,66 milliard d’euros, soit quelque 133 millions d’euros pour chacun des 12,5 kilomètres. Ce qui en fait, selon le journal Les Echos, “la route la plus chère du monde”.

L’écologie, pierre angulaire de la contestation
Le montant exorbitant de ces travaux n’a pas manqué de provoquer des remous: manifestation, création d’un collectif d’opposantspétition… Malgré le développement économique de l’île assuré par les quelque 3000 emplois directs et 6000 emplois indirects promis, de nombreux habitants de La Réunion ont en effet choisi de s’opposer au chantier. Parmi les raisons invoquées, le coût élevé pour une région déjà lourdement endettée et le caractère éphémère des emplois créés. Autre cheval de bataille des anti-NRL: l’impact du chantier sur l’environnement et la faune marine. Également parmi les points sensibles, les 18 millions de tonnes de roches nécessaires à la construction de la route, extraits de la carrière de Bois Blanc. Les responsables du chantier (Vinci/Bouygues et GTOI/SBTPC) ont dû faire face à un référendum et à la création d’un collectif d’opposants spécifique avant de finalement obtenir l’autorisation d’exploiter la carrière en juin 2017. Sur internet, les opposants ont également souligné l’existence d’alternativesprojet de tram-trainroute suspendue… De son côté, la Région Réunion utilise les réseaux sociaux pour réaliser une véritable campagne de promotion, à coups de vidéos  et reportages photos enthousiastes. Une partie entière du site dédié à la NRL est également consacrée à l’impact environnemental du projet: bilan chiffré et vidéo sous-marine tentent de répondre aux craintes exprimées.

La justice s’en mêle
Au-delà de la mobilisation populaire, la justice a également porté un coup au chantier pharaonique de la NRL. Fin juin 2017, un conseiller régional et des salariés administratifs du conseil régional de La Réunion ont ainsi été placés en garde à vue suite à une enquête préliminaire lancée par le Parquet National Financier (PNF) en 2015. En cause: des soupçons de corruption, malversations, favoritisme et trafic d’influence portant sur l’attribution des marchés du chantier. Le domicile du président (LR) du conseil régional de La Réunion, Didier Robert, de son épouse et de plusieurs élus réunionnais ont notamment fait l’objet de perquisitions. Face à eux, Thierry Robert (MoDem), principal opposant à Didier Robert, qui a lui-même transmis au PNF un dossier comportant selon lui “plusieurs éléments possiblement constitutifs d’un conflit d’intérêts” et le groupe Eiffage, grand perdant de l’appel d’offres. L’affaire est sensible: dans la foulée de son audition en tant que témoin, Thierry Robert a retrouvé sur le portail de son domicile des menaces de mort taguées… Un épisode de plus dans ce chantier pharaonique, qui accuse d’ores et déjà un retard estimé de 8 mois.

A voir sur Youtube, quelques images du chantier réalisées en septembre 2017


(Texte : Solange De Mesmaeker, Bruxelles, Belgique / Crédit photo : Région Réunion)