Human Flow, virée impressionniste sur les routes de l’exil

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Second film documentaire de l’artiste engagé Ai Weiwei après son enquête sur l’affaire Qian Yunhui, Human Flow est une réflexion parfois décousue sur la thématique du migrant, évoqué sous toutes ses formes dans ce qui semble être plus le cri du cœur d’un citoyen du monde - influencé par la pensée occidentale - qu’une œuvre d’art « typique » de la star des artistes contemporains chinois. Un film nécessaire cependant, au vu de l’ostracisme et du rejet que les récentes arrivées en masse de réfugiés suscitent dans une Europe devenue largement xénophobe.

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Passant du général au particulier, sautant parfois du coq à l’âne ou illustrant son propos de citations de poètes moyen-orientaux parfois un tantinet pompeuses, Ai Weiwei aime filmer les paysages et les interactions entre les éléments et l’homme, avec ce désir d’harmonie tout’ impressionniste et typiquement sensuelle du sanshui chinois. Ainsi, de très belles scènes nous montrent le vent fouettant des bâches en plastique dans une maison abandonnée, des puits de pétrole en feu en Irak, ou des enfants émergeant tels des fantômes d’une tempête de sable, avant d’être à nouveau avalés par celle-ci.

Marche ou crève
Mais c’est lorsqu’il filme la marche silencieuse d’une horde de miséreux sur une route sinistre et perdue du Nord de la Grèce, dans une sorte de chaos serein et résigné, saisissant, qu’Ai Weiwei fait mouche. En enchaînant ensuite sur le témoignage d’un migrant épuisé par un voyage interminable, à l’issue incertaine, en donnant la parole à un chef de camp de réfugiés ou à un spécialiste de l’ONU, Ai Weiwei donne un visage et une voix aux déplacés.

En effet, en personnalisant la figure anonyme du migrant, Ai Weiwei insiste sur un élément que l’on oublie trop souvent dans l’Europe sécuritaire d’aujourd’hui : c’est que l’idéal européen s’est construit sur la notion même d’accueil du réfugié, en particulier lorsqu’il franchissait le rideau de fer pour fuir le communisme. Et pose une question primordiale: que reste-t-il de cet idéal ? Eh bien, apparemment pas grand-chose. Ironiquement, ce sont les anciens pays du bloc communiste (la Hongrie du roitelet Orban en tête) qui ferment leurs frontières aux réfugiés d’aujourd’hui, illustrant bien le drame d’une Europe éclatéee, à la mémoire courte et aux principes mouvants.

Une vie meilleure ailleurs
La solidarité et l’accueil sont des éléments essentiels de la cohésion de notre société globalisante: sans empathie ni ouverture à l’autre, le contrat social meurt. Qu’on le veuille ou non, les être humains chercheront toujours une vie meilleure ailleurs, au péril de leur vie si nécessaire: à la persistance des conflits répond la persistance des flux migratoires, et il vaut peut-être mieux accueillir les migrants en leur redonnant leur dignité ou en garantissant leur avenir, que les parquer dans des camps ou dans des ghettos où, se sachant exclus et haïs, ils deviendront des victimes faciles de tous les radicalismes, l’islamisme en tête.

Film nécessaire donc, mais qui ne sera probablement pas regardé par ceux-là mêmes qu’il devrait convaincre, à savoir les xénophobes.

Film parfois maladroit aussi (l’inclusion du problème de la bande de Gaza dans le sujet reste contestable), traversé par la figure débonnaire de l’artiste se mettant en scène en train de prodiguer soins et réconfort à des migrants, ou en train d’acheter du shit à un réfugié syrien, Human Flow n’est donc pas le grand film sur l’empathie dont notre époque auto-centrée a un réel besoin. Mais la sincérité du propos d’Ai Weiwei reste touchante.

Human Flow, un film de Ai Weiwei; production : Participant Media, AC Films et Ai Weiwei Studio, 2017.

(Texte : Nicolas Metzler, Genève, Suisse / Crédits photos : Participant Media, AC Films et Ai Weiwei Studio)