Le Grand-Saint-Bernard, une histoire nécessairement épique

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C’est mardi passé que s’est ouverte, après un gros travail de déneigement, la fameuse route du Grand-Saint-Bernard, avec son col qui culmine à près de 2500 mètres d’altitude entre la Suisse et l’Italie, et son hospice, où réside une congrégation de chanoines. Ouverte jusqu’au mois d’octobre dans le musée du col, une exposition retrace l’épopée de ce tronçon mythique. Rencontre avec Pierre Rouyer, commissaire de l’exposition.

Roaditude – Pierre Rouyer, il y a eu beaucoup de neige cet hiver… L’exposition dont vous êtes le commissaire ouvre le 9 juin au Musée de l’hospice du Grand-Saint-Bernard, qui est à 2500 mètres d’altitude. La route du col sera-t-elle praticable à cette date ?
Pierre Rouyer – En fait, il n’y a pas eu tant de neige que ça. Les chutes de neige cet hiver au Grand-Saint-Bernard ont été inférieures à 15 m, ce qui est dans la moyenne. En revanche, il y a eu beaucoup de vent, notamment du foehn, et cela a créé d’énormes gonfles, c’est-à-dire des amas de neige. Mais les cantonniers valaisans ont déjà dégagé la route du col jusqu’à l’hospice, et leurs homologues italiens sont à bout touchant. L’ouverture de la route internationale du col du Grand-Saint-Bernard aura donc lieu de manière certaine le 5 juin.

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Nous avons des lecteurs dans le monde entier, qui ne connaissent pas forcément le Grand-Saint-Bernard. Quelles sont les particularités de ce col ?
Le col est habité toute l’année par les chanoines du Grand-Saint-Bernard. A 2500 m d’altitude, avec un hiver qui dure 8 mois, ça constitue une particularité assez rare ! On ne peut emprunter la route que pendant l’été, c’est-à-dire de juin à la mi-octobre. En hiver, on y monte à skis ou en raquettes. D’autre part, le col est le lieu d’origine des chiens saint-bernards. Pendant plus de deux siècles, ces animaux ont servi à secourir les voyageurs dans la montagne, et il y en eut beaucoup. Aujourd’hui, ces chiens ne sont plus utilisés au sauvetage, car ils sont trop lourds, mais chaque été, le chenil du col est ouvert, avec une quinzaine de chiens saint-bernards, pour le plaisir d’un public très nombreux.

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Pourquoi organiser aujourd’hui une telle exposition, et que pourra-t-on y voir exactement ?
L’exposition que nous organisons chaque été fait partie de l’offre touristique. C’est  un moyen d’informer les gens sur les réalités locales. Beaucoup de personnes qui montent au col savent qu’ils vont y trouver les célèbres chiens, mais la plupart ignore que le col est habité par une communauté religieuse, et quand ils viennent, ils sont généralement très surpris de découvrir un lieu aussi vivant, avec une histoire très riche.  Le thème de la route, choisi pour l’exposition de cet été,  est un thème puissant, qui nous concerne tous. Nous l’évoquons par des photographies et des documents d’archives. Une partie de l’exposition évoque donc l’histoire de la route du col, tandis qu’une autre partie rend  hommage aux personnes qui entretiennent la route, notamment les cantonniers suisses et italiens. Nous avons mandaté une photographe valdôtain, Andrea Alborno, pour suivre les travaux de déneigement qui s’achèvent actuellement. C’est impressionnant de voir ces hommes ouvrir la voie entre des murs de neige parfois hauts de 5 à 6 mètres.

Vous parlez de votre exposition comme d’un récit, visuel et documentaire. Vous dites que « ce récit est nécessairement épique, dès lors qu’il rappelle le besoin immémorial de franchir les Alpes. » Quels ont été les grands moments de l’épopée du Grand-Saint-Bernard ?
La route du col du Grand-Saint-Bernard, parce qu’elle permet de franchir les Alpes et de relier le nord et le sud de l’Europe, est une très ancienne route, empruntée depuis l’Antiquité. Une partie de l’exposition évoque donc l’histoire de la route, avec des points forts tels que la période romaine ou la via Francigena. Mais ça reste une évocation, car il est impossible de montrer tous les évènements survenus au fil des siècles ! On découvre également les origines de la route moderne, construite à la fin du 19e siècle, avant l’arrivée des premiers véhicules motorisés. Il faut s’imaginer le chantier que cela a été, entre 1900 m et 2500 m d’altitude, sur un terrain très escarpé. De fait c’est une très belle route, avec de magnifiques lacets qui épousent le relief.

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En particulier, en 1964, il y a l’ouverture du tunnel. On pourrait croire que cette ouverture a signé l’arrêt de mort de la route ; or, l’exposition montre qu’il n’en a rien été. Quelle est la raison d’être, aujourd’hui, de la route du col ?
Il est juste de souligner que l’ouverture du tunnel du Grand-Saint-Bernard a été un événement considérable, dès lors qu’il s’agissait du premier tunnel routier transalpin, mais cela n’a en rien signé l’arrêt de mort de la route du col. Il suffit de voir les dizaines de milliers de personnes qui empruntent cette route chaque été. Contrairement au tunnel, la route mène à un haut lieu. C’est un itinéraire exceptionnel, qui traverse un labyrinthe de montagnes.

Au col, il y a bien sûr l’hospice, avec ses chanoines et ses fameux chiens, qui donnent une dimension spirituelle au Grand-Saint-Bernard. Cette dimension a-t-elle encore une réalité aujourd’hui ?
Je ne peux pas répondre à la place des innombrables personnes qui montent hiver comme été à l’hospice, pour partager avec les chanoines un temps de prière. Je puis juste  affirmer que l’hospice est un lieu vivant. Quant aux célèbres chiens, je rappelle que c’est désormais la Fondation Barry qui gère l’élevage, et non plus les chanoines. La présence des chiens en été au col correspond à une demande du public. Chaque été, on enregistre plus de 20’000 entrées au chenil !

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S’il ne fallait donner qu’une raison de faire la route du col pour venir voir l’exposition, quelle serait-elle ?
La joie d’arriver dans un haut lieu par une voie magnifique !


Pour en savoir plus sur l’exposition, visitez la page web du musée.

(Interview : Laurent Pittet, Nyon, Suisse / Crédits photo : Médiathèque Valais-Martigny, Andrea Alborno et Musée de l’hospice du Grand-Saint-Bernard)