Routes américaines : les 19 de la 16

De nombreux dangers guettent celui qui conduit sur le Highway 16, au nord de la Colombie-Britannique canadienne. Il y a les grizzlys, les tempêtes hivernales, la fatigue due aux longues heures de conduite… Mais le trajet est encore plus dangereux pour les auto-stoppeuses : 19 d’entre elles ont été tuées ou portées disparues depuis 1969. Selon les chiffres officiels. 

L’autoroute 16, surnommée « Highway of Tears » (autoroute des larmes) en raison des nombreux meurtres qui y sont reliés, s’étend sur les 720 kilomètres qui séparent Prince George de Prince Rupert. Elle traverse la chaîne côtière, serpente à travers les vallons tandis que les paysages de carte postale du nord de la Colombie-Britannique défilent. Le territoire est immense, les épinettes s’étendent à perte de vue. De temps à autre, un petit sentier s’enfonce dans la forêt, sans plus d’indication. La couverture cellulaire y est absolument inexistante par endroits. Zone d’entre-deux, ce sont majoritairement les touristes et les camionneurs qui l’empruntent. C’est, pour le moins que l’on puisse dire, une zone sauvage.

Du côté de Terrace, sur la 16, en direction de Prince Rupert.

Du côté de Terrace, sur la 16, en direction de Prince Rupert.

Des gens y vivent, malgré tout. Quelques villages et de nombreuses réserves autochtones essaiment la route. Du fait de leur petitesse, ils ne peuvent cependant pas tous fournir les services de base. Les résidents du coin sont donc souvent appelés à se rendre au village le plus proche, obligés d’emprunter « la 16 » pour se rendre à l’hôpital, visiter la famille ou faire les courses. Tous n’ayant pas accès à une voiture, il n’est pas rare de voir des gens du coin le pouce levé, attendre patiemment la prochaine voiture, sur l’accotement, sans le sac à dos surchargé du backpacker.

Vu l’historique de l’autoroute dont il est question, des panneaux d’affichage rappellent les périls associés au stop, une pratique pourtant relativement sécuritaire ailleurs dans le pays. Là, le visage de Madison Scott orne un panneau publicitaire, accompagné d’un 100 000 $ géant, soit le montant de la récompense offerte si quelqu’un la retrouvait. Madison est disparue en 2011 après une fête entre amis et son corps n’a jamais été localisé. Un peu plus loin, une autre affiche aux couleurs alarmantes clame « Girls don’t hitchhike. Killer on the loose » (les filles, ne faites pas de stop – il y a un tueur en cavale).

Plusieurs tueurs
Dans les faits, il ne s’agit pas de un, mais de plusieurs tueurs. C’est ce qu’a déterminé un groupe d’enquête de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), chargé d’élucider les 19 cas répertoriés sur le Highway of Tears. Dans la communauté, on évoque plutôt le nombre d’une quarantaine de femmes disparues dans les environs depuis 1969.

Le scénario se répète : une femme, parfois très jeune (Monica Jack avait 12 ans à sa mort en 1978…), souvent d’origine autochtone, se voit dans l’obligation de faire du stop pour se rendre à destination. Sans nouvelle, la famille alerte la police. Parfois, on retrouve un corps violenté, creux dans les bois, parfois, même pas. Le meurtrier, quasiment jamais.

La GRC a des suspects, notamment grâce à des prélèvements d’ADN, mais rien ne pouvant mener à des accusations formelles. Les seuls qu’elle ait pu formellement identifier sont le tueur en série américain Bobby Jack Fowler, mort en prison aux États-Unis, et Garry Taylor Handlen, violeur en série impliqué dans le meurtre de Monica Jack, et officiellement accusé en 2014…

Symposium
Le Highway 16, avec sa sinistre réputation, est au cœur des revendications des communautés autochtones canadiennes, dont des centaines de femmes ont été portées disparues dans les 30 dernières années. Un symposium au sujet de cette route a d’ailleurs été organisé en 2015, conviant les autorités locales et les communautés autochtones à repenser le système de transport – et la sécurité routière – tout au long de ses kilomètres. Quelques mois plus tard, le gouvernement de la province annonçait en grande pompe un nouveau système de navettes qui relieraient Prince George à Prince Rupert. Espérons que cette amélioration empêchera de verser de nouvelles larmes à cause du Highway of Tears.


Voir l’itinéraire du Highway of Tears sur Google Maps
Voir le site Internet www.highwayoftears.ca

(Texte : Nora T. Lamontagne, Québec, Canada / Crédits photo : Wikipedia, Izithombe, Longbomb)