Courir pour savoir pourquoi

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Réalisé par le coureur hongrois Balàzs Simonyi et présenté le week-end dernier au festival Visions du Réel à Nyon (Suisse),  Ultra nous emmène sur le parcours du Spartathlon, une course d’ « ultrafond » qui s’étire sur 246 kilomètres non-stop, d’Athènes à Sparte. Entre évocation des souffrances inhumaines, éloge de la fraternité, valorisation du sacrifice et illumination spirituelle, cette plongée dans la folie de ceux qui « courent pour savoir pourquoi ils courent » est filmée comme une tragi-comédie grecque.

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La légende du messager Phidippidès, mourant d’épuisement après avoir couru d’une traite la distance entre Marathon et Athènes pour annoncer la victoire grecque contre les perses en 490 av. J.-C. connaît une autre variante à l’origine du Spartathlon : en effet, cette course insensée emprunte le trajet qu’aurait suivi le même Phidippidès en partant d’Athènes afin d’aller chercher de l’aide à Sparte pour combattre les Perses. Il aurait couru cette distance en 36 heures.

Depuis 1983, les sportifs les plus acharnés de la planète s’affrontent chaque année sur le parcours. Ultra nous emmène donc à la rencontre de quatre coureurs et d’une coureuse, aux motivations variées mais aux objectifs similaires : finir le Spartathlon dans les temps admis.

Et là, le moins que l’on puisse dire, c’est que ces coureurs sont prêts à risquer leur santé pour vivre leur rêve. « Les junkies perdent leurs dents, moi je perds mes ongles de doigts de pied »… Cette phrase de Balàzs Simonyi, qui a déjà couru quatre Spartathlons depuis 2013, illustre parfaitement l’absolu que représente cette course. L’intérêt de ce film choral réside justement dans le fait que le réalisateur participe lui-même à la course : nous suivons donc ses réflexions et, parfois aussi, ses divagations tout au long du parcours.

Se dépasser de manière surhumaine
Les coureurs d’ultrafond, comme ceux de triathlon, appartiennent à une espèce à part. Capables de se dépasser de manière surhumaine, dotés d’un mental d’airain, leur point commun est d’avoir des motivations profondes, existentielles, mais aussi des failles, des blessures – et pas seulement physiques. Ainsi, le jeune Angel court pour surmonter un léger handicap cognitif, tel compatriote de Balàzs Simonyi pour trouver une alternative à la médiocrité d’une vie qu’il juge « appliquée, mais sans talent », telle autre pour surmonter la mort de son enfant. Commence alors un voyage dans la psyché des coureurs, mais aussi dans celle de leurs proches venus les soutenir. Les rapports entre les sportifs et leurs familles donnent lieu à des psychodrames parfois comiques, souvent touchants : à un moment, l’épouse d’un coureur, en larmes, conjure à genoux son mari d’arrêter la course avant d’y laisser sa vie. Le film est d’ailleurs parsemé de scènes qui évoquent les tragédies grecques, où la conscience d’un devoir quasi métaphysique (il faut finir la course) s’oppose à la sécurité de l’amour familial. De même, les proches qui soutiennent les coureurs le long de la route souffrent presqu’autant que les coureurs eux-mêmes.

 « La route, quelle connerie ! »
Bien entendu, les coureurs doutent, veulent abandonner, repartent, trottinent, marchent, se traînent, se reprennent, dorment debout, sombrent dans la confusion mentale. Et plus les heures passent, plus la course prend des allures de massacre – Balazs Simonyi décrit d’ailleurs une des étapes comme étant « un lieu d’exécution » – mais ce casse-pipe est parfois ponctué de moments d’extase : le réalisateur raconte après dix heures de course qu’il « commence à aimer tout le monde ». Les participants, épuisés, se mettent en effet à divaguer, hallucinent, s’étreignent sur le parcours comme des damnés revenus de l’Enfer… Jurent qu’on ne les y reprendra plus, puis se remettent à courir, franchissent enfin la ligne d’arrivée après presque deux jours de galère, le regard fou, un sourire de bouddha sur les lèvres, en transe.

Et, comme on le voit à la fin du film, reviennent l’année d’après et en redemandent. Car la réponse à leurs aspirations se trouve dans la course elle-même, pas dans l’accomplissement de l’épreuve. « Je cours pour savoir pourquoi je cours » : cette profession de foi de Balazs Simonyi prend alors tout son sens, un sens que seuls peuvent comprendre ceux qui ont vécu la même expérience.


Ultra, un film de Balàzs Simonyi, 2016.
Pour en savoir plus, visitez le site web du documentaire.

(Texte : Nicolas Metzler, Genève, Suisse / Crédits photos : HBO)