Carnet de la N7 (5/5) - De Aix-en-Provence à Menton

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« 2000 ans d’histoire, 30 ans de légende » a l’habitude de dire Thierry Dubois, organisateur du rallye 100 Autos sur la Nationale 7. À bord de « Pamela », une Coccinelle ’66, l’équipage de Roaditude vous raconte ce périple de 6 jours sur la Route Bleue, de Paris à Menton.

Si la Route Bleue éveille le souvenir, la nostalgie, le goût si enveloppant de la rétromanie, elle mérite aussi de ne pas être uniquement regardée à travers le rétroviseur. Mais au fond des yeux. Sa beauté, on l’a vu et ressenti, réside autant dans son passé que dans son présent… et son futur.

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Sainte-Victoire – Le grand écrivain Stendhal écrivit d’elle, un jour, qu’elle est “plus curieuse que toutes les processions du monde”. Elle a inspiré Cézanne, bien sûr, mais aussi Renoir, Picasso et Kandinsky. La montagne Saint-Victoire, qui s’alanguit à l’est d’Aix-en-Provence, semble couvrir nos premiers kilomètres de son regard… A moins que ce soit nous qui ayons du mal à quitter des yeux cette longue étole argentée. Au même titre que la Loire, le Rhône ou l’Estérel, elle est un de ces éléments dont la nature a fait tout spécialement don à la Route des Vacances.

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Work in progress – L’étape qui partait d’Aix-en-Provence ce matin nous en a donné largement la preuve : les routes qui ont de l’avenir s’entretiennent. Et c’est un investissement colossal et nécessaire pour l’irrigation d’une région. Les travaux dont nous avons été témoins sur la N7 nous montrent qu’elle est bel et bien vivante, même sous un autre nom. Et la qualité de son revêtement a rendu la montée dans le Massif de l’Estérel, notamment, d’autant plus agréable.

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Soleil brûlant – Sous le soleil estival du Var, la route apparaît comme brûlée, incandescente. Mais il n’est point question de désolation ici : si les platanes ont débarrassé le plancher, des chênes, des cèdres ou des pins bordent désormais le bitume et portent une ombre plus rare, mais toujours bienvenue.

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À l’amitié – « Moi, tu vois, c’est pas les voitures qui m’intéressent, ce sont les rencontres. Quoi de plus enrichissant qu’une belle rencontre ? ». La phrase est revenue comme un mantra chez Françoise, qui a quitté le Mâconnais avec Philippe pour débuter le rallye des 100 Autos à Montargis. A chaque arrivée durant ces 5 jours, elle a été le premier visage, le premier sourire aperçu. « On vous attendais, les copains ! » Philippe n’a pas non plus été du genre à lésiner sur la sympathie. « Il faut avouer un coup de blues ce soir… » nous écrit-il quelques heures après avoir pris congé, sur le cours Honoré Creps, à Grasse. Ainsi en est-il des chemins qui se croisent : faire le bout de route ensemble, tailler le bout de gras, se payer des tranches de rire, boire les récits de vie par lampées ou petites gorgées. Contempler en silence les affinités qui se dessinent, se dire que le hasard, pour peu qu’il existe, fait bien les choses. Et puis vient le temps de l’au-revoir, plein de ces moments passés ensemble, espérant que les routes vont se rejoindre, traçant des plans pour dessiner les ponts, les embranchements, les échangeurs qui le permettront. Ce que la route nous donne, personne ne peut le reprendre. Il revient au temps de le bonifier, comme il le fait avec le vin de Loire, du Rhône et des coteaux de Provence.

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Esterel, ou est-ce un rêve ? – Il faut croire que chaque jour nous réserve de quoi étancher notre soif d’émotions. La montée, depuis Fréjus, sur le massif volcanique de l’Esterel se fait comme sur un tapis volant. Les courbes dessinées sur ses flancs provoquent des soupirs et des frissons jusque dans les moteurs les plus accablés de chaleur. Le rendez-vous a tenu toutes ses promesses : le ciel, dégagé comme un ballon de Fabien Barthez, offre une vue superbe sur les vallons. Et les couleurs ocres font résonner des paysages lointains et imaginaires.

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La famille des Bienheureux – En regardant en cours de semaine Stéphane et Amandine rouler à bord de leur 2 CV en compagnie de leurs filles de 10 et 7 ans, puis, pour chaque piquenique, utiliser leurs fauteuils de voiture escamotable comme siège ergonomique, l’image nous est venue instantanément à l’esprit: celle d’Alexandre le Bienheureux, dans le film éponyme d’Yves Robert. Amandine et Stéphane, venus de Clermont Ferrant, où il est conservateur du musée de l’aventure Michelin, et elle, infirmière (elle « soigne les bobos de la route »), se sont rencontrés lors d’un meeting de 2 CV, et ne se sont plus quittés depuis – ni leur deuche, d’ailleurs, avec laquelle ils parcourent depuis longtemps les routes des vacances. Mais pour leurs filles, c’est une première. Et sous la canicule, encore bien. « Oh ben on a joué à la DS, on a dormi, on a regardé les paysages », dit Lucie, 10 ans. « Et quand papa a ouvert le toit, on a pu se mettre debout et avoir tout l’air dans le visage ! », poursuit Sophie, 7 ans. C’est sûr, Stéphane n’a rien du père tyrannique dont beaucoup d’entre nous se souviennent, celui qui, typiquement, interdisait tout relais pipi avant le sien. La petite famille envisage un nouveau voyage à Lisbonne. « Une semaine pour y aller tranquille, une semaine sur place, une semaine pour revenir »… Et les filles, elles, rient à ne plus en pouvoir.

Menton(s) – L’idée, au départ, était belle. Après la photo du « Point zéro » de Notre-Dame, celle du poste de douane de Menton, dernier au revoir avant que la France ne laisse définitivement la N7 virevolter auxras  de l’Italie. C’était aussi un truc de potes, une obsession commune, un plan tiré plusieurs fois sur la comète en 20 ans d’amitié, au départ d’une rigolade sur Le Corniaud et ses diamants dans la batterie, sa schnouff dans les ailes, ses lingots dans les pare-chocs. Des souvenirs de trajets de vacances dans la tire paternelle, entre autres, est né une vision et un goût communs pour la route… Une joie à faire tirer la langue au bitume. Paris-Menton-Nationale 7, le triumvirat qui règne sur l’empire du sens. Ça avait de la gueule. « Honnêtement, le trajet va pas vous mettre en joie » nous a dit la veille Thierry Dubois, sur le ton de la confidence dont seuls les initiés et les passionnés font usage. Veille du 14 juillet, la N7 avalée par l’autoroute ou les bouchons à l’entrée des villes n’est pas à proprement parler l’ombre d’elle-même, mais elle est éparpillée façon puzzle, morcelée, découpée, à distance de la joie qu’elle procure habituellement. Une ordalie d’après notre très Gentil Organisateur. L’opportunité de faire étape à Grasse, et d’épouser l’arrivée officielle des 100.


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(Texte : Nicolas Bogaerts, Bruxelles, Belgique / Crédit photo : Marc Charmey)