Les femmes en route de Jacques Olivar exposées à Bruxelles

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Another Day in Paradise… En franchissant le seuil de l’exposition de Jacques Olivar à la galerie Photo House de Bruxelles, on a à peine le temps de songer au single de Phil Collins ou au film policier de Larry Clark, du même nom, que l’univers de ce photographe issu du monde la mode nous captive. Une seule esthétique mais qui adopte deux voies, la voie du noir et blanc et celle de la couleur. Dans les créations en noir et blanc, au milieu d’un décor où chaque élément est signifiant, une jeune femme — souvent des icônes de la mode, des stars — trône, solitaire, prise dans une élégance hors monde. Dans les photographies couleurs de grand format, à la colorimétrie singulière, la passion de Jacques Olivar pour la narration éclate : la dimension filmique est d’emblée frappante au travers de mises en scène élaborées qui renvoient à des films mythiques du cinéma américain des années 1950 et 1960. Au nombre des sources d’inspiration de Jacques Olivar, on mentionnera la route, particulièrement les routes américaines, l’univers du cinéma, de la littérature.

Helmut Newton célébrait des femmes dotées d’une aura de puissance, d’une séduction froide. Dans une stylisation au service du rêve et de la fiction, Jacques Olivar campe des femmes à la beauté fatale qu’il immerge dans un paysage qui contraste parfois avec leur sophistication, station-service, désert, toit d’un gratte-ciel… Avec Down the Highway au Nevada, la grammaire du lieu, des objets (pompe essence, voiture américaine, ligne de montagnes qui se découpent…) rencontre la grammaire de la jeune femme. Dans Long Drive Nevada, dans un décor et une palette de couleurs qui évoquent l’univers d’Edward Hopper, le génie du lieu a éclipsé l’humain. Le temps s’est figé, le paysage s’est délivré de toute présence humaine. Dans ce road trip américain, défilent des clins d’œil à Hitchcock, John Ford, John Huston, Wim Wenders, David Lynch.

Jacques Olivar, Long Drive Nevada, 2005

Jacques Olivar, Long Drive Nevada, 2005

L’âge  d’or d’Hollywood est derrière nous. Du jardin d’Éden, ne demeure qu’une version parodique mise en scène dans Garden of Eden, photographie où l’on voit une femme (une danseuse de music-hall ?) pousser une plante sur un diable face à une roulotte délabrée. Du jardin paradisiaque ne demeure qu’une plante en pot. L’heure est celle de la quête d’ivresse, une ivresse qui côtoie la désolation (Rum n’ cokeDesolated Angel), l’heure est celle du hors temps, de l’éternel présent (Timeless).

La route et la voiture
La route et son pendant, la voiture, se voient convoquées directement ou de manière oblique, l’une et l’autre symbole d’évasion, d’errance, de fuite vers l’ailleurs. Dans After Hours, une rue dans le Montana avec en avant-plan une jeune femme en robe fourreau, une cigarette à la main.

Jacques Olivar, After Hours Montana, 2007

Jacques Olivar, After Hours Montana, 2007

Jacques Olivar s’aventure hors du glamour et du lisse pour donner à percevoir des fragments d’histoire entre étrangeté et merveilleux. L’image enregistre la solitude de jeunes femmes, leur absence au monde dans un décor hautement stylisé mais elle tait tout de l’avant et de l’après. Au travers des portraits en noir et blanc de top models, d’actrices (Christy Turlington, Helena Christensen, Vivien Solari, Eva Herzigova, Natalia Vodianova, Nadja Auermann, Monica Belluci, Kristin Sott Thomas…), au travers des cristallisations en couleurs de scènes made in USA  inspirées par le cinéma (Otto Preminger, Nicholas Ray…), par la littérature (Tennessee Williams, John Steinbeck, Jack Kerouac…), Jacques Olivar interroge l’éternel féminin, l’alchimie de la beauté en son isolement ou dans son dialogue avec la beauté non humaine.

Orphelins d’un monde
La confrontation entre la femme (plus rarement l’homme) et son environnement, que ce dernier soit intérieur (chambre d’hôtel, villa de Franck Lloyd…) ou extérieur (métropole, gratte-ciels de Manhattan, station-service, parking…) produit un trouble, un suspense. Jouant sur le décalage des univers appariés, sur un effet de surprise, le photographe établit un réseau d’échos (consonants ou dissonants) entre le personnage et le paysage. Les créatures semblent indifférentes, coupées du dehors, étrangères à l’atmosphère dans laquelle elles évoluent. Hiératiques et perdues. Inaccessibles. Que la lumière soit crépusculaire, que le ciel soit traversé de nuages, elles ne paraissent écouter que leur météorologie intime à l’instar des personnages des tableaux d’Edward Hopper, orphelins d’un monde avec lequel ils ont perdu contact.

Derrière le Forever Young (titre d’une exposition antérieure), on soupçonne qu’un drame, que des événements ténus ou fracassants se jouent. Des événements dont nous ne saurons rien, dont nous recueillons le tremblé onirique, l’énigme. Les questions « que s’est-il passé ? Que va-t-il arriver ? » demeurent sans réponse. La séduction cache, dissimule davantage qu’elle ne révèle, brouillant les polarités de l’être et du paraître, de l’être et du faire, noyant l’action sous l’essence. Le néo-réalisme glisse vers le tremblé d’une surréalité. Jacques Olivar expérimente la photographie comme un médium exhumant des rencontres du troisième type pour reprendre le titre d’une de ses œuvres. La galerie Photo House expose sur deux niveaux ce voyage dans la vérité du simulacre, dans la machine à rêve hollywoodienne.


Exposition Jacques Olivar, Another Day in Paradise, Photo House Brussels, 96B, rue Blaes, Bruxelles. Jusqu’à fin août 2018.

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(Texte : Véronique Bergen, Bruxelles, Belgique / Crédits photo : Jacques Olivar)