Les marques et le territoire

Dans le numéro 7 de Roaditude (sortie le 25 avril 2019) est publié un essai original du photographe québécois Guillaume D. Cyr consacré à la « fête nationale » acadienne du 15 août, et à son fameux « show de bucane », un concours qui récompense celui qui fera le plus fumer les pneus de sa voiture, laissant fatalement des traces sur la route. Nous avons posé quelques questions à cet artiste-photographe (ou photographe-artiste) pour faire plus ample connaissance avec lui.

Roaditude – Guillaume D. Cyr, quel photographe êtes-vous ? Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?

Guillaume D. Cyr – J’ai fait quatre ans d’études techniques en photographie au Cégep de Matane et trois ans en arts visuels à l’Université Laval. Alors, je me définis comme un photographe versatile, j’aime exercer dans presque que toutes les sphères de la photographie commerciale (mode, portrait, publicité, corporatif, architecture, aventure). Je travaille autant dans mon studio que sur le terrain. En parallèle, je suis un artiste en art visuel, avec la photographie comme médium. Mon travail d’artiste m’amène à voyager, à exposer dans des galeries, dans des centre d’artistes, dans des résidences de recherche et en arts publics. Les deux domaines s’influencent et s’équilibrent. Peut-être qu’un jour, l’art prendra toute la place, mais ce n’est pas une nécessité pour moi.

Quelles sont vos influences ?

Mes influences sont surtout dans le monde de l’art. Bernd et Hilla Becher m’ont influencé tant par leurs photographies que par leur histoire. Je suis fasciné par le photographe canadien Edward Burtynsky. Les photographes documentaires m’inspirent car, pour moi, l’important, c’est de montrer le réel. Avec cette approche et une esthétique personnelle, c’est là que la poésie de l’image se crée – dans le mélange entre l’art et le documentaire.

Vous vous définissez tantôt comme photographe, tantôt comme artiste. Au fond, quelle est la différence ?

Pour moi, la ligne se trace si le projet est une commande, ou s’il s’agit d’une approche personnelle. La commande est plus axée sur une réalisation technique en tant que photographe exécutant. L’artiste, lui, est libre de tout. Souvent, c’est en mélangeant ces deux notions que je me suis taillé une place comme photographe professionnel. Dans mes commandes photos, j’ai souvent une liberté complète, seul le sujet est imposé. Personnellement et professionnellement, je suis un artiste. Un artiste en affaires.

Pour l’essai publié dans le numéro 7 de Roaditude, vous vous êtes rendu en Acadie, du côté de la ville de Caraquet. Pouvez-vous nous présenter ce projet ?

Dans mes projets artistiques, je travaille sur la notion du territoire, de l’homme qui marque le paysage. Le tout combiné à mes origines personnelles. J’ai beaucoup travaillé sur la Gaspésie (2010-2015), mes origines familiales. J’ai aussi fait une résidence d’artiste en Vendée, en France (2012), lieux de mes descendants plus lointains, douze générations en arrière. Entre les deux, ils sont passés par l’Acadie, un territoire que je n’avais jamais exploré. Le projet de Roaditude était une bonne occasion d’y aller et d’explorer la région une première fois. La mer et la route sont des éléments qu’on retrouve souvent dans mes sujets. Donc, dans cet essai, il y a des œuvres d’arts et des photographies qui soutiennent l’histoire. C’est le début de quelque chose, je l’ai vécu comme une résidence d’artiste.

Cette tradition du « show de boucane », ça laisse percevoir un rapport assez particulier à l’automobile. Au Québec, le « char », c’est important ?

Notre grand territoire et le peu de concentration urbaine qu’il y a au Québec et au Canada laissent une grande place à l’automobile. Avoir accès à une voiture a toujours été le symbole de la « vraie » liberté et de son indépendance, mais ca commence à changer avec les nouvelles générations. Avoir une voiture est de plus en plus secondaire. Les formules d’auto-partage sont de plus en plus présentes. Pour moi, avec mon métier et mes autres passions, telles que la pêche, avoir un « char » est un mal nécessaire. Alors, avoir un char par famille, oui, c’est important – mais deux, c’est trop !

On sent chez vous un intérêt réel pour votre région, notamment la Gaspésie. Mais vous avez aussi réalisé des reportages à l’étranger, notamment au Japon. Quelle part des choses faites-vous entre le proche et l’ailleurs ?

Dans mes débuts en photographie professionnelle, j’avais un réel besoin d’aller loin pour faire de la photo. Je croyais que le dépaysement allait apporter quelque chose de plus à mon travail. Avec le temps, je me suis rendu compte que ce que je préférais photographier, c’est ce que je connaissais davantage. Donc, je me suis retourné vers mes connaissances, mon propre environnement, mon monde à moi. J’ai aussi besoin de voyager et d’explorer pour approfondir mon univers, tant photographique que personnel.

Quelle est votre actualité, et quels sont vos projets à venir ?

Présentement, je travaille sur un projet photo sur la ville de Québec. Le titre provisoire de ce travail est Terre d’accueil, c’est un projet en trois volets. J’en suis à la moitié, je devrais pouvoir le présenter pour la première fois en 2020. C’est une approche axée sur mon quotidien et celui de ma ville d’ « accueil ».  Ce mot signifie ici que c’est la vie qui a choisi où je vis, et non l’inverse. Mais je l’aime bien, malgré tout ! C’est une réponse, ou une suite, à un autre projet que j’avais réalisé, Gaspésie human less (2010-2015). Une réflexion sur le fait qu’on ne choisit pas notre lieux d’origine – mais est-ce qu’on choisi réellement notre lieux de vie ? Je crois que non ! Alors, je prends le temps de mieux regarder le monde qui m’entoure dans mes parcours quotidiens…

Parallèlement, j’explore la photographieaérienne réalisée avec un drone. J’en profite pour faire de la rechercheesthétique en lien avec la nature. Quelque chose de plus contemplatif, à lafaveur de mes sorties en nature, surtout à la pêche. Je réalise des Hublots.

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Images tirées d'Esquisse sur route, essai publié dans le numéro 7 de Roaditude.


Pour en savoir plus sur Guillaume D. Cyr, visitez son site Internet.

(Interview :Laurent Pittet, Nyon, Suisse / Crédits photo : Guillaume D. Cyr)