"Ne m’oublie pas" : sur la route de la mémoire

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Avec sa première bande dessinée, Ne m’oublie pas, la jeune illustratrice belge Alix Garin signe un road trip transgénérationnel, ultime voyage sur fond de maladie d’Alzheimer inspiré de son vécu avec sa grand-mère. Un hommage vibrant, cocasse et poétique, porté par un trait léger et délicat.

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Se confronter impuissant au déclin de la mémoire de l’un de nos proches. Voir ses souvenirs s’effacer, ses facultés cognitives régresser, son autonomie se perdre. Devoir se raccrocher à des bribes de pensées éparses du passé et à des paroles sans queue ni tête. L’Alzheimer est une maladie dévastatrice pour la personne qui en souffre – d’autant plus dans ses moments furtifs de lucidité – et pour ses proches qui doivent se résigner à la double peine d’une mort neuronale. Pour son premier roman graphique, la dessinatrice belge de 24 ans s’attaque donc à un sujet lourd, s’inspirant de son expérience personnelle avec sa grand-mère atteinte de cette maladie neurodégénérative. Mais ici, Alix Garin prend le parti de la fiction comme échappatoire à l’autobiographie et nous embarque dans un road trip chargé d’émotions sur les routes verdoyantes de Belgique. 

Vivre une dernière aventure 

Clémence a la vingtaine, aime l’art, le théâtre, et aspire à devenir comédienne. Elle vaque à ses occupations, entre sa lecture de Jacques le Fataliste et l’attente impatiente de son concours d’entrée à l’Ecole nationale de théâtre dans trois mois, lorsqu’elle reçoit un texto de sa mère. Sa grand-mère, Marie-Louise, a encore fugué de la maison de retraite. Désespérée de la voir dépendante de cette maladie et du personnel soignant qui souhaite recourir à « un traitement chimique doux », elle décide, dans un sursaut, de l’enlever et de prendre la route en quête de l’hypothétique maison d’enfance de sa grand-mère.

 Déclencher des réminiscences, raviver les souvenirs d'une vie, telle est la volonté de cette jeune femme, confrontée elle-même à la perte de sa propre enfance. Mais cette échappée belle à bord d’une petite voiture rouge s’annonce pleine d’imprévus. L’influence de Thelma & Louise résonne dans ce récit de 220 pages où se mêle une enquête policière, le tout parsemé de flashbacks, de souvenirs, de questionnements existentiels, de nostalgie et d’une pointe d’humour subtil. 

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Aller embrasser la mer 

La puissante charge émotionnelle qui s’en dégage nous cueille ainsi dès les premières pages. Le graphisme épuré, la simplicité du trait, les couleurs pastel et les planches quasiment dépourvues de dialogues sont au service de cette histoire pleine de justesse. Au fil des péripéties, Clémence commence à comprendre la douleur du temps qui passe, à accepter l’idée de la voir partir, à s’affranchir de cette peur de grandir. Car face à elle, Marie-Louise, même déconnectée du monde, revivant son enfance dans sa tête, persuadée que ses parents l'attendent à la maison, parvient à ressentir cette joie rassérénante d’accomplir la dernière parole de sa propre mère : aller embrasser la mer.  

Ce road trip de trois jours atteint dès lors son paroxysme entre instants de bonheur et déchirement d’adieux. Alix Garin fait montre d’un très beau chant du cygne et d’une poignante résilience à travers ce premier album, très agréable en main. Avec comme symbole la fleur de myosotis (au doux surnom « Ne m'oubliez pas »), elle tisse les liens transgénérationnels avec sobriété, délicatesse et intelligence du cœur.


Alix Garin, Ne m’oublie pas, éditions Le Lombard, Paris, 2021.

(Texte : Nathalie Dassa, Paris, France / Crédit photo : Alix Garin. Le Lombard)