Sophie Squillace, une passion-éthique de la moto

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Journaliste, autrice de Inde du Nord originale et durable et Sri Lanka. Un voyage écolo et éthique (Viatao, 2017), poète de la moto, Sophie Squillace livre dans Le Frisson de la moto un chant d’amour, de liberté aux cylindrées de tout poil, aux grands espaces, à l’esprit d’aventure. La passion pour la moto relève pour elle d’un mode de vie, d’un désir de briser les routines en se lançant sur des routes vertigineuses, escarpées, à l’écart d’une société formatée et policée.

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Sur sa Royal Enfield mythique, sur sa trépidante Honda, sa Minsk ou son Ural, Sophie Squillace fait l’épreuve d’une autre manière de vivre : le nez au vent, le corps ne faisant qu’un avec sa monture, avec le désir de s’ouvrir à la fureur des paysages, à la griserie des sensations nées de la vitesse. Genèse de la passion pour les deux-roues à moteur, analyse des contradictions entre une sensibilité écologique, une attention à l’environnement et la pratique d’un engin polluant, bruyant, phénoménologie de l’éveil à soi procuré par les voyages à moto, évocations des rapports magnétiques, amoureux, électriques entre le motard et sa cylindrée… Sophie Squillace nous fait entrer dans la danse sacrée des mordus de la route, nous fait sentir la charge imaginaire (soif de liberté, de rébellion, avec Easy Rider dans le rétroviseur), l’enjeu initiatique qui double les chevauchées sur les cols himalayens, dans les steppes de Mongolie, sur des pistes d’Afrique du Sud ou du Rwanda. 

Solitaire et solidaire

Eminemment physique, sensoriel, attentif au monde qu’il découvre, le voyage à moto célèbre aussi une expérience existentielle qui relève du rite. Solitaire sur son engin, le motard, la motarde appartiennent aussi à une communauté éminemment solidaire, portée par les mêmes rêves, les mêmes valeurs. « Dans ces rencontres, je décèle un esprit fort, quelque chose de fier, d’inconditionnel, d’atypique, et découvre une pratique qui conserve encore le charme d’un geste insoumis ».

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Le feu sacré ne fait pas l’impasse sur un apprentissage, une découverte des possibilités, des dangers, des beautés de la moto mais aussi des aptitudes du conducteur. Apprivoiser l’engin, tenir à distance ses peurs, ses projections, s’ouvrir aux langages du vent, de la pluie, doser l’allégresse procurée par la conduite ou la pousser à son zénith… C’est à une éthique fiévreuse des deux-roues que Le Frisson de la moto. Petites chevauchées sur cylindrées en tout genre nous convie. 

« La moto s’impose, comme le désir et l’amour. Tous les amateurs vivent une vraie romance avec leur machine. C’est l’histoire d’une rencontre, l’histoire d’une étincelle dans le moteur, d’une force divine ».

Chevauchées sauvages

De quoi l’élan motorisé est-il le nom ? Que perd-on avec les avancées technologiques, avec les gadgets électroniques qui équipent les motos ? Quelles seront les motos de demain ? Que nous permettront-elles ? De quoi nous priveront-elles ? Qu’en est-il des motards férus d’équipement high tech, un équipement, un blindage qui les coupe d’un contact direct, brut avec la route, qui les prive de l’adrénaline née du goût du risque ? Aux prouesses des innovations, à une moto automatisée devenant un robot piloté par un « cosmonaute » coupé de son environnement, l’autrice préfère les chevauchées sauvages, les conduites immersives, les extases sensorielles, les odyssées géographiques qui déstabilisent l’être.  

La fête des sens, des odeurs, des couleurs passe par un corps à corps avec une Royal Entfield qui vrombit, pétarade, rugit, sans faire écran par rapport au paysage. Sophie Squillace appartient à la confrérie des motards poètes, des baroudeurs en quête de frissons et non de performances, à l’affût de rêveries, de détours insolites, d’enchantements, et non de voyages cyberplanifiés, superéquipés.  

Insoumission

La moto libère une autre temporalité, celle des errances, des flâneries, de la dissidence par rapport au culte néolibéral de la rentabilité et de la vitesse productiviste et consumériste. Elle est la fée à deux roues qui dévoile la splendeur d’une nature fragilisée par les choix humains, elle permet aux motards de se mettre à l’écoute des forêts, des lacs, des steppes, de leurs habitants non-humains. Son carburant philosophique nous pousse à questionner la condition humaine, la place de l’homo sapiens dans le monde et ses interconnexions avec les autres règnes. Comme l’écrit Sophie Squillace, « le plaisir à moto va de pair avec l’amour du monde vivant et de ses paysages », avec « une célébration de la vie ». L’apprentissage auquel elle nous invite a pour nom la fraternité et l’harmonie avec les écosystèmes. L’énergie qui bouillonne dans le moteur a pour vérité chimique, pour composant de base, l’insoumission.

En Afrique du Sud

En Afrique du Sud

Au Kirghizistan

Au Kirghizistan

En Ouganda

En Ouganda

En Mongolie

En Mongolie


Sophie Squillace, Le Frisson de la moto. Petites chevauchées sur cylindrées en tout genre, Transboréal, Collection Petite Philosophie du voyage, Paris, 2021.

(Texte : Véronique Bergen, Bruxelles, Belgique / Crédits photo : François Combe)