Permis de conduire ? La voiture interrogée

Permis de conduire ?, telle est la question-titre de l’exposition que le Musée des Arts et Métiers de Paris consacre à l’automobile et son avenir. Car à l’heure de la crise écologique, la voiture, qui fut symbole de liberté individuelle, devra se réinventer. À partir de ses riches collections, le musée interroge l’histoire, la technique mais aussi le regard que l’on porte sur cet objet si particulier à nos cœurs. Roaditude a rencontré Lionel Dufaux, commissaire de l’exposition, et Mathieu Flonneau, historien des mobilités.

Lionel Dufaux, vous êtes commissaire de l’exposition « Permis de conduire ? ». Proposer  une  exposition sur la voiture au moment où celle-ci est de plus en plus décriée, peut sembler pour le moins audacieux. Quelle était votre intention ?

Lionel Dufaux La voiture semble amorcer un nouveau chapitre de son histoire, un chapitre qui va sans aucun doute trancher avec ce que l’on a connu durant 75 ans. L’idée de cette exposition était donc de prendre le temps d’écouter des avis qui sont souvent très tranchés, et d’essayer de prendre un peu de hauteur sur le sujet. La voiture est souvent perçue comme un symbole de liberté individuelle, de facilité de mouvement, en France particulièrement, où elle a coïncidé avec une forte hausse du niveau de vie des classes moyennes. Dès les années 1950, elle s’est invitée dans les ménages où elle est devenue un objet relevant de la sphère intime, parfois considéré comme une pièce en plus de la maison. C’est pour toutes ces raisons, qu’aujourd’hui, il est difficile de prendre un peu de recul.  

Quelle a donc été votre démarche pour répondre à cette ambition ?

Le Musée des Arts et Métiers est un musée des techniques et d’histoire de l’innovation, nous avons donc ce tropisme d’aborder les objets par ce biais. La voiture est également un objet de mobilité dont nous avons cherché à rappeler les limites (les embouteillages, le coût, la pollution…), avant de nous interroger sur la capacité des innovations à apporter des réponses à la crise de la voiture. Nous interrogeons aussi notre rapport à la mobilité. En montrant des « choses », des objets, comme des batteries, on permet au public de se rendre compte des matériaux, de l’encombrement, du poids. On ajoute ainsi un niveau d’information qui est essentiel à la réflexion. Nous présentons aussi une 4CV en coupe issue de nos collections, qui comptent plus de 80 000 objets, et que le public n’a pas vue depuis 30 ans. On montre également une voiture électrique qui date de 1942, « l’Œuf », conçu par l’industriel et artiste peintre Paul Arzens et habituellement présenté au musée de l’automobile de Mulhouse. C’est un objet étonnant, qui invite au rêve, et qui change aussi notre regard, conciliant impératifs de mobilité et automobiles rêvées.  

Les positions sont très tranchées, parfois idéologiques, sur l’avenir de la voiture. Comment susciter un débat serein ?

En tant que musée des techniques, nous avons cherché à aller au-dessus de la mêlée pour écouter et faire dialoguer des personnes qui ont des positions très différentes. C’est ce que l’on a commencé à faire lors d’une première table ronde qui s’interrogeait : la voiture a-t-elle encore un avenir ? Et il y aura d’autres rencontres jusqu’en mai 2023, sur les mobilités dans la ville du futur ou la voiture autonome par exemple. Nous voulons aussi donner la parole à des personnes qui sont dans la recherche, qui travaillent sur ces sujets pour essayer d’introduire de la nuance et d’imaginer la suite. Cette exposition est aussi une invitation au public, aux citoyens à participer à cette discussion.

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Mathieu Flonneau, vous êtes historien des mobilités, enseignent-chercheur à Paris Sorbonne. Quel est votre regard sur la voiture ? Pourquoi n’est-elle pas un objet comme les autres ?

Mathieu Flonneau Bien au-delà de la technique, c’est un objet politique, social, culturel, patrimonial et mes travaux m’incitent à concevoir ce thème comme un point matriciel de l’histoire de la vie privée. Si les déploiements de l’automobilisme et de la civilisation routière n’avaient été que le fait d’un puissant lobbying, produits par le seul capitalisme, ils ne se seraient pas universellement diffusés. Il y donc autre chose : des aspirations personnelles et collectives, le désir d’individualisme de la société occidentale… Dès lors, que signifierait l’abandon de la voiture pour notre société ? La crise que l’automobilisme traverse aujourd’hui renvoie à tous les reniements de nos sociétés vis-à-vis de la liberté.  

Le futur de l’automobile sera forcément différent, comment l’envisager ? 

Il y a plusieurs éléments structurants et socialement signifiants à prendre en compte qui interdisent la naïveté. A commencer par l’industrialisation. Durant les Trente Glorieuses, en se diffusant dans toutes les classes sociales, l’automobile a accompagné un progrès perçu, ressenti et réel. De plus, elle était profondément républicaine. Mais aujourd’hui, ces valeurs se retournent et l’on tend à refaire, à l’aune de l’impératif écologique, de l’automobile un bien de luxe et exclusif. Il faut donc poser la question de l’électrification comme solution unique et s’interroger sur les soutenabilités territoriale, sociale et économique d’une telle transition. Les transports publics représentent la seule vraie alternative à la voiture, ce qui implique des investissements lourds, à l’opposé de ce que j’appelle les « bullshits mobilities » des centres-villes où les effets d’aubaine sont nombreux alors que simultanément les zones dites « périphériques » sont souvent orphelines en termes d’alternatives.  

L’automobiliste devra-t-il consentir à d’autres usages de la voiture ?

Renoncer à la mobilité, revoir la répartition actuelle de l’habitat, divulguer ses données pour utiliser des véhicules autonomes… C’est tout un équilibre social à repenser, un modèle conquis et désiré, d’accessibilité et de prospérité pour lequel des générations ont travaillé dur. S’il y a une révolution des esprits à accomplir, on peut douter qu’une société libérale soit à même de l’accomplir… Est-ce que d’ailleurs, l’on est réellement en position de réfléchir aux conséquences de l’abandon de toute motorisation, y compris individuelle ? C’est une question politique, voire éthique, qui risque d’être tranchée par les extrêmes. Je n'ai pas évidemment pas de solution péremptoire à proposer mais la conviction, construite à force de recherches, que la formulation du problème mérite d’être appréhendée dans toute sa complexité.


Permis de conduire ? du 18 octobre au 7 mai 2023 au Musée des arts et métiers de Paris, 60 rue Réaumur Paris 3ème. Tables rondes, événements, visites guidées… Retrouvez tout le programme d’une saison culturelle dédiée aux mobilités sur le site du musée.

Mathieu Flonneau a récemment publié En tous sens. Une histoire des équipements de la route (Loubatière Editions). Il a également signé l’article « Valeur et prix de l’automobilisme d’hier à demain » dans la Revue politique et parlementaire (Aimons-nous encore la liberté ? juillet 2022).

(Texte : Claire Teyserre-Orion, Paris, France/ Crédits photo : Musée des arts et métiers, Paris)