« Ralentir est la chose la plus nécessaire »

S’il fallait trouver un exemple du pouvoir dramatique de la route, Ralentir, la nouvelle bande dessinée du couple Le Lay-Horellou (Plogoff, 100 maisons, notamment), figurerait sans doute dans la liste ultime. Déviations, accidents, rencontres, échanges, arrêts, nouveaux départs… On y trouve tous les ingrédients qui font de l’univers routier le matériau idéal pour tailler une belle histoire, avec ici, en plus, une réflexion forte sur nos modes de vie. Ralentir, oui, mais il faut continuer sa route.

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Roaditude – Delphine Le Lay, vous êtes la scénariste de Ralentir, une nouvelle bande dessinée qui sort au Lombard, avec une iconographie d’Alexis Horellou. Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
Delphine Le Lay – Je viens de Douarnenez (Finistère), où j’ai grandi. J’ai fait des études de droit et d’économie sociale. Deux expériences m’ont sans doute façonnée : l’une bénévole, en détention, au sein de l’association GENEPI (Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées) et l’autre à la Ferme du Buisson (Scène Nationale de Marne la Vallée). C’est ma rencontre avec Alexis, à Bruxelles, en 2007, qui m’a menée vers l’écriture de scénario. Depuis, nous vivons et travaillons ensemble. Ralentir est notre cinquième ouvrage commun. Nous avons aussi créé une association avec laquelle nous menons différents projets artistiques et culturels (édition de Jukebox, recueil de BD et illustrations; festival de créations et curiosités Rustine; café culturel associatif Le Guidon,…).

Dans la postface que vous signez avec Alexis Horellou, vous parlez de l’ « absurdité du système », et Ralentir met en évidence certaines réponses que l’on peut donner à cette absurdité. Pensez-vous vraiment qu’une bande dessinée peut faire changer les choses ?
Je ne cherche pas à changer les choses par la bande dessinée. Je raconte avant tout des histoires qui nous touchent, Alexis et moi, et que l’on a envie de partager. Ceci dit, pour ce qui concerne nos trois derniers albums (Plogoff, 100 maisons et Ralentir), ce sont des histoires qui nous ont fait évoluer nous-mêmes, dans notre vie. Donc, dans un certain sens oui, la bande dessinée peut changer les choses. Je ne sais pas si c’est le cas pour les lecteurs.

La principale réponse que vous proposez, comme le laisse entendre votre titre, c’est de ralentir, de retrouver le temps pour se retrouver soi-même. Pouvez-vous nous expliquer cela ?
Mon intention première était de raconter des façons de vivre alternatives à la société qu’on nous propose, des manières d’être plus respectueuses de soi et de l’environnement. Je n’avais pas à l’idée de réfléchir au rythme de vie. Le titre nous a été suggéré par notre éditrice. Nous n’avons pas adhéré à ce titre tout de suite. Ce n’est qu’après coup, une fois l’album presque terminé que nous nous sommes dit que finalement, ralentir était sans doute la chose la plus nécessaire et la plus difficile à faire. Il nous a fallu beaucoup de temps pour l’admettre, et dans notre propre vie, ça reste encore trop souvent à l’état de bonne résolution.

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Ralentir tire magnifiquement parti de la symbolique de la route, et des ressors dramatiques qu’elle offre. D’où vous est venue cette inspiration ? Quelle a été la genèse de votre scénario ?
Le tout premier projet de bande dessinée que nous avons présenté, Alexis et moi, était un road trip. Il n’a jamais été édité, mais il y a quelque chose de cette histoire dans Ralentir. L’idée de Ralentir est venue de l’envie de répondre à la question qui nous était posée souvent : « est-ce que des actions comme Plogoff et 100 maisons seraient encore faisables aujourd’hui ? ». J’ai donc cherché du côté des mobilisations et des tentatives concrètes de sortie de crise. L’idée du road trip est revenue naturellement. Peut-être parce que c’est une histoire de cheminements.

Le road trip de David et Emma donne une image ambivalente de la route, entre risque d’accidents et opportunité de se révéler à soi-même, entre dureté de l’autoroute et splendeur des paysages de départementales. Cette route, au final, faut-il l’aimer ou la redouter ?
Peut-être faut-il la redouter si le temps à y consacrer et la voie à prendre nous sont imposés.

Mais si nous entamons le chemin de bon coeur et que nous le vivons en soi et pour soi, alors quels qu’en soient les embuches et quelle qu’en soit l’arrivée, ce chemin ne devrait être que bénéfique.

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Vous-même, y a-t-il une route qui a compté particulièrement dans votre vie ?
La route que j’ai faite en moi-même il y a quelques années.

Avec vos précédents albums, Polgoff (2013) et 100 maisons (2015), vous étiez déjà dans une veine engagée. Quel sera votre prochain projet ?
Probablement une histoire pour enfants. Et puis en parallèle, une autre histoire de chemin, mais à vélo cette fois et peut-être tout en images.

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Alexis Horellou et Delphine Le Lay, Ralentir, Le Lombard, 2017.

(Interview : Laurent Pittet, Nyon, Suisse / Crédits photo : Marc Charmey)